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Partie I - Retour au Pays Inconnu

Un essai intime sur le retour aux origines, où le pays natal devient à la fois étranger et familier. Entre souvenirs, peurs et révélations, ce texte explore les retrouvailles avec la famille, la ville et l'identité — et montre que revenir peut, en réalité, être un acte de renaissance.

CONTESPROSE

5/24/20255 min temps de lecture

Je me suis souvent interrogé sur le choix de Dany Laferrière, ce titre si mystérieux : L'Énigme du retour.
Il portait en lui un poids invisible, une profondeur insaisissable, comme un murmure ancien que seuls les initiés comprennent.
Mais moi, je ne comprenais pas. Pas encore.
Je me demandais :
Pourquoi "énigme" ? Pourquoi "retour" ? N’est-ce pas une chose simple que de revenir chez soi ?

Je n’ai compris qu’en franchissant le seuil du retour.
Ce jour-là, un appel venu d’Afrique m’a arraché à ma routine lisboète. Une urgence familiale.
Il fallait rentrer.
Et soudain, ce mot – rentrer – me parut étrange, étranger, hérissé d’épines.

Mon propre pays m’effrayait.
Ce pays de poussière rouge et de chaleur accablante, où mes premiers pas avaient vu le jour, s’était transformé en territoire inconnu.
Je le portais en moi, oui, mais comme on porte une cicatrice qu’on ne regarde plus.
Il me semblait lointain, flou, presque mythique.

La nuit précédant le départ, j’ai failli renoncer.
Je ne pouvais dormir. Mon esprit, en cavale, ressassait les mille histoires entendues dans les rues de Lisbonne, dans les salons d’immigrés :
« Là-bas, rien n’a changé... »,
« Là-bas, tout empire... »,
« Là-bas, on ne revient pas, on se perd. »

Mais deux amis m’ont ramené à l’essentiel.

Le premier m’a dit, la voix tremblante d’émotion :

« Tu vas revoir ta mère. Elle t’attend sans l’espérer. Elle t’attend sans le dire. Elle t’attend depuis dix ans. »
« Tu porteras à nouveau ta petite sœur sur ton dos, comme autrefois, quand elle n’était qu’une poupée de cinq ans. Elle ne se souvient peut-être plus de ton odeur, mais elle la reconnaîtra. »

Le second, d’un calme désarmant, m’a simplement glissé :

« Lisbonne ne s’efface pas. Elle t’attendra, fidèle. Mais ta famille, elle, ne t’attendra pas toujours. Et un jour, ce sera trop tard. »

Je me suis levé à l’aube, le cœur lourd et lumineux à la fois.
J’ai pris un vol vers le Sud, vers l’enfance, vers l’origine.

Personne ne savait.
Je voulais l’effet du choc, l’explosion douce de l’inattendu.
J’ai parlé à ma mère en visio depuis l’aéroport.
Elle me voyait, mais elle ne savait pas.
Je lui ai dit que je partais en vacances. Elle a cru que je retournais en France.
Elle m’a souhaité bon voyage, sans deviner que mes pas me ramenaient à elle.
Que dans quelques heures, ses bras referaient le chemin jusqu’à mon dos d’enfant.

Mon pays m’était étranger, oui.
Mais peut-être ne l’avais-je jamais vraiment connu.
Je connaissais le musseque, les ruelles de terre battue, les rires et la débrouille.
Mais Luanda ? Je l’avais seulement traversée. Jamais habitée.
Elle était pour moi une silhouette floue au loin, une capitale sans capitale dans mon cœur.

Je n’ai jamais contemplé l’Atlantique depuis la Marginale.
Je n’ai jamais bu un café à Kinaxixi.
Je n’ai jamais pris le temps de m’asseoir et de regarder le ciel.

Chez nous, on ne manquait de rien, sinon de rêves.
Maman travaillait sans relâche, Papa aussi.
Nous avions à manger. Mais l’horizon restait bouché.
Aucune promesse ne brillait au loin.

Je me souviens m’être demandé, un soir :

« Est-ce cela, la vie ? Ce quotidien sans lumière ? Cette attente sans lendemain ? »
« Maman portera-t-elle toujours ces bassines sur la tête ? »
« L’eau coulera-t-elle un jour au robinet ? »
« Aurons-nous une nuit sans coupure d’électricité ? »
« Combien de kilomètres devrons-nous encore faire pour remplir nos bidons ? »

J’étais un enfant rassasié et inquiet.
Mes jambes couraient, mais mon esprit piétinait.

Aujourd’hui, je rentre avec un autre regard.
Je rentre pour aimer cette ville que je n’ai jamais embrassée.
Je veux m’asseoir à Kinaxixi et écrire un poème, lentement, au rythme du vent.

Je ne veux plus fuir.
Je veux marcher dans Luanda, en prendre la mesure.
Jadis, je n’y allais que pour les papiers, les certificats, les démarches absurdes.

La seule fois où j’ai vu le centre-ville, c’était avec le père de mon beau-père.
Il conduisait la famille dans son vieux Range Rover, pressé, tendu, silencieux.
Je n’en garde qu’un goût d’agitation.
Je veux cette fois sentir la ville, la humer, l’écouter.

Je pensais découvrir des restaurants chics, comme ceux de Lisbonne.
Mais mon ami m’a dit :

« À Luanda, la meilleure table, c’est celle de ta mère. Les autres ? De la poudre aux yeux et des mouches dans l’assiette. »

Alors je mangerai chez moi, chez elle, dans le calme retrouvé.
Mais je rêve encore : peut-être trouverai-je un jour un lieu où partager un bon repas, avec mes proches, en paix.

Je promets à ma sœur une bibliothèque.
Je lui promets un cinéma.
Je lui promets une promenade en vélo.
Et pour la première fois, j’irai au Músculo — ce lieu mythique que les étrangers connaissent mieux que moi.

Oui. À trente ans, je rentre enfin.
Et je découvre, avec étonnement, que ce pays que je croyais mien…
je ne l’ai encore jamais habité.

Quelles sont vos impressions ?
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-Did de st Vigor-

Échos des Lecteurs

<< Être digne ou ne plus être

Je me souviens des années 60, juste après la guerre. Il y avait ces baraquements construits à la va-vite pour reloger les plus pauvres. On y survivait, oui, mais on y vivait bien aussi.

Nos oncles, nos tantes, nos grands-mères, nos copains d’école… tous y posaient leur sac ou leur cartable à la fin de la journée.

Il n’y avait ni téléviseur, ni téléphone, juste la TSF. Mais ici, on savait qui portait le maillot jaune du Tour de France. C’est vrai, on disait des grossièretés, on se disputait, on picolait parfois… Moi, je n’étais pas vraiment "d’ici", j’étais d’à côté, mais je m’y sentais bien. Parce qu’ici, il y avait quelque chose de précieux : le respect de l’autre.

Même mon père, pourtant dur et toujours sérieux, s’y sentait bien. Ma mère, elle, était heureuse de rendre visite à ma grand-mère. Elle se sentait chez elle aussi. Elle remettait du charbon dans la vieille chaudière, elle passait un coup de balai, pour que tout soit un peu plus digne. Tiens, voilà ce mot. Digne.

Aujourd’hui, tout a été rasé. À la place, il y a de vraies maisons, avec de belles clôtures. Mais ici… on ne se parle plus. À peine si on se salue. On ne regarde plus la télévision ensemble. On se connecte. On a des milliers "d’amis".

Mais est-ce qu’on est encore dignes, ici ?
Je ne sais plus.
Peut-être qu’un jour, on ne saura même plus ce que ce mot veut dire.